L’exception qui confirme la règle
La diversité sociale est la reconnaissance de l’immense richesse qu’offrent les différences entre êtres humains. Au-delà de ces différences observables, qu’on peut qualifier d’attributs sociaux (origine ethnique, nationalité, religion, genre, préférence sexuelle…), il existe une différence invisible : notre fonctionnement neurologique. La diversité neurologique (ou neurodiversité) est la reconnaissance des différences illimitées qui existent entre les êtres humains sur le plan cérébral. Tout comme il n’existe pas deux êtres humains totalement identiques, il n’existe pas deux cerveaux absolument pareils.
Il existe cependant une « norme » neurologique, déterminée par la masse des personnes dont le cerveau fonctionne de manière plus ou moins similaire. Disons que ces personnes ont un fonctionnement neurotypique. Ainsi, les personnes dont le cerveau s’écarte de cette norme sont donc les neuro-atypiques, ou neurodivergents. Les différences neurologiques sont observables à l’imagerie médicale, et font donc l’objet d’un diagnostic médical formel. L’existence des divergences neurologiques sont donc objectivement mesurables.
A l’heure actuelle, la population neurodivergente (bien que sous-diagnostiquée) représente 15 à 20% de la population mondiale, et porte surtout les particularités suivantes : dyslexie, dysorthographie, dyscalculie, dyspraxie, dysphasie, troubles du spectre autistique, syndrome de Down, syndrome de La Tourette, etc. Ces troubles neurologiques sont restés longtemps peu étudiés et mal connus avant le 20e siècle. On sait maintenant que les différences neurologiques résultent d’une variation naturelle du génome humain. Toutefois, à l’heure où la diversité a le vent en poupe dans les entreprises, notre vision de l’intelligence reste figée, tout comme notre vision du collaborateur idéal.
Identité ou spécificité ?
Dès notre naissance, nous sommes neuronormés : la société et l’enseignement sont calqués sur le fonctionnement des neurotypiques. Les neurodivergents comprennent vite qu’ils ne sont qu’une minorité et qu’ils doivent s’adapter, quitte à dissimuler leurs différences. Les autistes, par exemple, sont habitués au « masking » : adopter consciemment le comportement neurotypique afin de passer inaperçu, ce qui leur coûte beaucoup d’efforts et d’énergie. Dans le milieu professionnel, les tests psychotechniques et les processus de sélection dans leur ensemble sont établis sur la base d’un fonctionnement neurotypique. Les personnes atteintes de troubles dys- ont beaucoup moins de chance de réussir l’ensemble des tests psychotechniques, ce qui complique leur accès au marché du travail plus, et ce, sans préjudice aux dispositifs anti-discriminations. Les organisations se privent de cette diversité cognitive actuellement recherchée. Imaginez-vous que Steve Jobs, Albert Einstein, Winston Churchill Temple Grandin ou Keira Knightley aient jugés « inaptes » à cause de leur différence neurologique. Et pourtant, beaucoup d’autre n’ont pas eu leur chance.
Comment puis-je vous aider ?
Beaucoup ont entamé des trajets de reconnaissance et d’inclusion de la diversité identitaire, ou culturelle, dans le but de permettre à chaque individu de se sentir reconnu dans son unicité et de permettre aux organisations de bénéficier d’autres perspectives que celle de la prétendue « norme ». L’hypothèse de base est que la diversité identitaire mène immanquablement à la diversité cognitive, et que celle-ci a systématiquement des conséquences positives sur les performances des équipes. Il semble que des conclusions soient un peu hâtives, d’après des études menées ces cinq dernières années.
Les barrières invisibles
La spécificité des neurodivergents étant justement leur fonctionnement cérébral différent, ils peuvent se trouver désavantagés dans les processus de recrutement standards. Un dyslexique sera peu enclin à aborder ses difficultés au moment des tests d’aptitudes verbales. Un dyspraxique sera sans doute mis en difficulté devant un test du bac à courrier. Un dyscalculique aura tendance à obtenir de mauvais scores en aptitudes numériques. Certains autistes auront peut-être du mal à remplir un questionnaire de personnalité, sans parler des difficultés potentielles lors d’entretiens d’embauche. Un autiste présentant le Syndrome d’Asperger obtiendra fréquemment de bons résultats en intelligence fluide (raisonnement logique), moins en aptitudes numériques qu’en raisonnement verbal. Ces exemples expliquent pourquoi des candidats neurotypiques, aux résultats plus conformes aux attentes, auront plus souvent la préférence des recruteurs.
A ce stade, aucune loi anti-discrimination ne protège les neurodivergents, qui sont très souvent pris de haut par les entreprises aux méthodes de sélection traditionnelle, les mêmes entreprises qui cherchent à s’approprier les bénéfices de la « diversité et de l’inclusion ». Pour 15 à 20% de la population mondiale, la diversité et l’inclusion reste résolument hors de portée. Il serait pourtant aisé de leur rendre justice – tout en s’appropriant les bénéfices de la diversité et de l’inclusion tant désirés par les employeurs – en aménageant quelque peu les processus de sélection et les conditions de travail. Alors, prêt pour le changement ?